Par Melmothia
1. Expérience à base de tiges et de malades
Franz Anton Mesmer naît en 1734, à Souabe. Après des études de théologie, il se met à la médecine et, sous l’influence de Paracelse, de Kircher et de quelques rosicruciens qui passaient par là, présente une thèse portant sur l’influence des planètes sur les maladies. En 1773, après un mariage avec une riche veuve qui lui permet de s’introduire à la cour d’Autriche, il entend parler des travaux de Maximilian Hell, un jésuite qui passe ses loisirs à faire des expériences à base de tiges de métal et de malades. Il lui pique illico sa technique qu’il modifie pour élaborer une thérapie basée sur le « magnétisme animal » dont les principes théoriques sont :
** L’univers baigne dans un fluide permettant la propagation d’une énergie qui pénètre les corps vivants comme la matière. Le magnétisme animal est cette capacité des organismes vivants à émettre ce fluide et à le contrôler dans certaines conditions.
** La maladie résulte d’une mauvaise répartition de ce fluide. Pour obtenir la guérison du malade, il faut restaurer cet équilibre. Ce que Mesmer résume par cet aphorisme : Il n’y a qu’une maladie, qu’un remède, qu’une guérison.
Pour cela, le thérapeute utilise des passes (qui seront dites passes mesmériennes) sur le corps du malade, des « crises salutaires » vont alors se déclencher, permettant ou accompagnant le rééquilibrage de l’énergie.
Expulsé de la faculté de médecine de Vienne en 1778 pour « pratiques charlatanesques », il s’enfuit à Paris laissant derrière lui sa famille. Il restera une dizaine d’années dans cette « Mecque du merveilleux » selon l’expression de Nicole Edelman. Rapidement les malades affluent et le magnétisme devient très à la mode. Ne pouvant traiter chacun individuellement et désirant augmenter l’efficacité de sa méthode, Mesmer met au point la technique du baquet :
« Au milieu d’une grande salle, se trouvait l’Instrument ; un véritable baquet en bon bois de chêne, d’une hauteur de 50 cm.
Et dans ce baquet, de l’eau.
Et dans l’eau, trempait du verre pilé, de la limaille et d’autres ingrédients en tout genre. Un couvercle percé de trous recouvre le tout; de ces trous sortent des branches de fer coudés et mobiles. Dans cette pièce, il existe 4 baquets dont l’un, un peu à l’écart, est gratuit: il est réservé aux pauvres et aux indigents, et donne de moins bons résultats que les autres. Dans un coin de la salle, un pianiste joue de préférence du Mozart et parfois des chants voilés et douloureux. De lourds rideaux ne laissent pénétrer qu’une lumière tamisée.
Les malades silencieux, attendent, installés sur plusieurs rangs, autour d’un baquet qui occupe toute leur attention, et tout l’espace. […] Chacun tient une des tiges de fer qui sort du couvercle et l’applique sur la région malade.
Une corde passée autour du corps unit les patients entre eux. Le magnétiseur passe autour des patients en les fixant dans les yeux, promène devant, ou sur eux, sa baguette ou sa main » [1].
En 1784, Mesmer se heurte de nouveau à l’institution. Une première commission composée de médecins de la faculté de Paris et de membres de l’Académie des Sciences, entreprend sous l’impulsion de Louis XVI, d’étudier les travaux du magnétiseur. C’est ensuite au tour des savants de la Société Royale de Médecine de se pencher sur le cas Mesmer. Les deux commissions concluent à l’inefficacité des traitements et condamnent le Mesmérisme. Autrement dit : circulez, y’a rien à voir. On peut cependant douter de l’objectivité scientifique des acteurs de cette affaire, car au-delà de la question de la réalité ou non du magnétisme, d’autres enjeux, politiques et moraux, se profilent. On reproche par exemple au baquet de prendre la place des médecins, de favoriser une égalité sociale fâcheuse et une promiscuité choquante pour les mœurs. Autant dire que l’affaire était jugée avant même d’être entendue. Lassé des attaques en rafale de ses détracteurs, Mesmer retourne en Allemagne où il n’est pas mieux reçu, puis après un détour à Londres, il rentre dans son patelin suisse natal où il mourra en 1815.
2. Vous en reprendrez bien une transe ?
Armand Marie Jacques Chastenay de Puységur, né en 1752, est un aristocrate, vivant à Soisson et colonel de son état. Ce que ce type a de bien, d’abord ce sont ses frères. Passionnés par les travaux de Mesmer & membres de la Société de l’Harmonie Universelle, ils harcèlent leur aîné jusqu’à ce que lui aussi tombe dans la marmite, ou plutôt dans le baquet. Une heureuse initiative puisqu’à l’heure d’aujourd’hui on considère que le Marquis de Puységur a ouvert la voie aux recherches sur l’inconscient, inventé l’hypnose, le somnambulisme magnétique, et peut-être même la parapsychologie… Et tout ça mesdames et messieurs avec une simple bassine en métal que vous pouvez acquérir pour la modique somme de… ! Pardon, je disais : sous l’impulsion fraternelle, notre homme se passionne pour le mesmérisme qui n’est pas encore tombé dans le discrédit. Il exerce à son domicile avec un certain succès. Son but est médical, scientifique, tout ce qu’il y a de plus propre, et en phase avec la modernité de son époque. Le tournant a lieu lorsqu’un jour on l’appelle pour soigner le fils de son régisseur, qui souffre d’une fluxion de poitrine. Puységur procède comme d’habitude mais les effets qu’il obtient sont étranges: Victor s’endort d’un sommeil de plomb, au point que le marquis a peur de l’avoir trucidé d’un coup de passes magnétiques. Puis le jeune homme se met à chanter un air que le Puységur a dans la tête depuis plusieurs jours, avant de discourir dans un français impeccable lui qui, jusque-là ne s’exprimait qu’en patois. Enfin, il donne dans l’autodiagnostic, s’appliquant à décrire son mal et à indiquer le traitement adéquat… Emballé par sa découverte, le marquis de Puységur va multiplier les expériences. Il monte sa collection personnelle de cobayes et baptise sa découverte « somnambulisme magnétique », un nom particulièrement adéquat puisque comme le rappelle B. Méheust : « il ne s’agit pas de somnambulisme dans la mesure où la personne ne marche pas en dormant, et ce n’est pas magnétique au sens physique du terme » [2]. Il y en a quand même qui ont le sens de la formule.
Là où Puységur se différencie de Mesmer, c’est qu’il place la « volonté » là où l’homme au baquet voyait une action purement physiologique (un fluide matériel). De surcroît, le patient est amené à se soigner « lui-même », en donnant par exemple dans l’autodiagnostic, alors que Mesmer attribue tout le mérite du soin au pouvoir du magnétiseur. En 1784, Puységur publie un Mémoire pour servir à l’histoire et à l’établissement du magnétisme animal. Puis, l’année suivante, un deuxième ouvrage au titre inventif de Suite des mémoires pour servir à l’histoire et à l’établissement du magnétisme animal. Il emmène ensuite son cobaye préféré Victor à Paris pour le montrer à Mesmer & fonde la Société harmonique des amis réunis destinée à la formation des magnétiseurs. Ses ouvrages comme ses pratiques vont avoir un succès considérable, d’autant que Puységur fonctionnant sur ses fonds personnels, il ne peut être taxé de « charlatan ». Elles seront récupérées par à peu près toutes les tendances, les croyants et les athées, les scientifiques & les mystiques, chacun y puisant de l’eau pour son moulin :
« Une partie de la religion y voit une occasion de démontrer l’existence des miracles. L’exégèse s’en empare, Lacordaire voit dans les facultés médiumniques une trace de « l’homme Adamique » d’avant la Chute, enfouie sous la vie sociale. En somme il développe exactement la même thèse que celle d’Upinsky sur le Suaire de Turin: Dieu a mis en nous des facultés cachées, latentes, qui le temps venu, confondront l’orgueil de la raison. Il y a bien sûr d’autres courants religieux : les forces réactionnaires de l’Église y voient au contraire la main de Satan. Enfin une autre branche des magnétiseurs, des rationalistes, veut au contraire utiliser ces phénomènes contre la religion, tout en admettant leur existence, notamment les Imaginationnistes avec le baron de Cuvillers. C’est un fanatique de la lutte anti-religieuse, il veut prouver les phénomènes de la lucidité magnétique pour montrer que tout ce qu’on a autrefois attribué aux anges et aux démons provient en fait des ressources intérieures de l’âme humaine » [3].
3. Faut pas pousser Mesmer dans les orties
Contrairement au mesmérisme, le somnambulisme magnétique échappe un temps aux foudres de l’institution, en partie grâce à l’indépendance financière et morale de ses adeptes, des artistocrates pour la plupart. C’est donc un autre problème qui va accaparer les esprits : dans quel tiroir ranger les phénomènes et quelles conséquences en tirer ? Sous prétexte de remplir la case vide du « comment ça marche », chacun va drainer le magnétisme vers sa chapelle. Tandis que les croyants y voient la preuve de l’existence de Dieu, les scientifiques celle du triomphe de la science, Puységur, quant à lui, y décèle la manifestation de ressources cachées de l’esprit humain. Et c’est là qu’on entend le premier couac. Car si la mode est au socialisme et aux idéaux égalitaires, point trop n’en faut. Donner ainsi du pouvoir à tout un chacun au nez et à la barbe des puissants gêne aux entournures. D’autant qu’il ne s’agit pas que de soins médicaux. Les somnambules magnétiques flirtent avec l’au-delà…
« Dans cet état spécial, le sujet voit se modifier complètement son rapport au monde. Il pense plus rapidement, survole son état de conscience vigile habituel, diagnostique les maladies dont il souffre, prévoit leur évolution dans le temps et s’administre des remèdes. Il peut aussi intervenir, consciemment ou non, sur des processus vitaux habituellement soustraits au contrôle volontaire. Mais il est également censé manifester des capacités de connaissance extrasensorielle, et notamment se porter à distance, vers une cible qu’on lui désigne, pour en ramener des informations vérifiables. Au milieu du XIX° siècle, on voit apparaître des sujets qui se sont spécialisés dans la démonstration de cette forme de la clairvoyance magnétique, en dehors du cadre hospitalier et thérapeutique. C’est, notamment, le cas du fameux somnambule Alexis Didier (1826-1886) » [4].
Au point qu’au début du XIXème, le terme est synonyme de « voyant ». Il sera remplacé par « médium » à la fin du siècle sous l’influence du spiritisme, puis disparaîtra complètement du vocabulaire moderne. En attendant, en ce début du XIXe, le duo médecin et somnambule fait fureur. L’un magnétise, l’autre dicte des ordonnances (les somnambules sont censés voir à l’intérieur des corps), prédit l’avenir, ou parle avec les anges. L’association permet de contourner les risques d’accusation d’exercice illégal de la médecine, mais c’est le somnambule, généralement une femme, qui fait le principal boulot. Hein ? Une… quoi ? Ces êtres inférieurs à peine dôtés de raison prétendant avoir un quelconque pouvoir ? Pire : osant se mêler de théologie et de philosophie !… En 1826, on n’en peut plus. D’autant qu’à force de brasser du somnambulisme, on en est venu à remettre en cause la condamnation du mesmérisme. Une première commission composée de médecins hospitaliers examine les deux dossiers et conclue… à la réalité du somnambulisme magnétique et du magnétisme. Les académies toussotent et rangent le dossier sous une grosse pile. Une autre commission sera nommée au début de l’année 1837 et cette fois, on a soin de mettre à sa tête un scientifique hostile à ces histoires. Trois ans plus tard, l’affaire est entendue. Les académies notent dans leurs calepins : refuser tout nouvel examen de cette question.
Le somnambulisme magnétisme disparaît donc de la scène scientifique vers 1850, à l’époque qui voit naître le Spiritisme aux États-Unis. Il faudra attendre la fin du siècle pour qu’il nous revienne sous une nouvelle forme, celle de l’hypnose théorisée par Braid. Puis des psychologues comme Janet ou Freud s’y intéresseront à leur tour, se rappelant des soins prodigués par Pusyégur à un jeune garçon souffrant de folie, dont il relate la « cure par suggestion » dans le Journal du traitement magnétique du jeune Hébert.
… Et tout ça, mesdames et messieurs, avec une simple bassine que vous pouvez acquérir… ! Oui, pardon.
Melmothia 2007
[1] Citation extraite du site hypnose-therapeutique.
[2] & [3] « Une histoire des sciences psychiques », Entretien avec Bertrand Meheust par Grégory Gutierez, extrait du mensuel Science Frontières, 1999.
[4] Bertrand Méheust «Les voyages somnambuliques au XIXème siècle», site de l’Institut Métapsychique.