Par Melmothia
Nos habitat, non Tartara, sed nec sidera caeli, Spiritus in nobis qui viget illa facit… (Ce n’est ni au Tartare, ni aux astres du ciel, mais bien au souffle qui est en nous qu’il faut attribuer ces merveilles) Cornélius Agrippa.
Tout commence en 1846 dans un petit village américain nommé Hydesville, la famille Fox est régulièrement dérangée par des coups frappés contre les cloisons, les meubles, le plafond : « D’abord c’étaient des bruits très légers, comme si quelqu’un frappait sur le parquet d’une des chambres à coucher, et, à chaque fois, une vibration se faisait sentir sur le parquet ; on la percevait même étant couché. Le sol vibrait si fort que les lits tremblaient et qu’on sentait cette vibration en se tenant debout sur le plancher. Les coups se faisaient entendre sans s’arrêter, il n’y avait plus moyen de dormir dans la maison » [1]. Comme la maison est déjà réputée hantée, Margaret et Kate, les deux fillettes du Pasteur Fox – quinze et douze ans, décident de dialoguer avec l’autochtone qu’elles appellent Splitfoot -Pied Fourchu. « Êtes-vous un esprit ? » demande Kate au bruit qui répond « bong-bong ». Rapidement, la famille invite les voisins à venir écouter chanter les murs, et l’histoire se répand comme une traînée de poudre. Tout ça fait beaucoup de bruit – beaucoup plus que le fantôme, au point que les sœurs Fox deviennent des célébrités. Comme on s’est aperçu que les phénomènes ne se produisaient qu’en leur présence, on leur colle donc l’étiquette de « médiums » et en avant, marche ! Elles partent en tournée. Grâce à des séances payantes et quelques mécènes, elles vont désormais vivre de la communication avec les défunts tout en s’attirant quelques foudres, dont celles de l’Église.
Ce qui ne s’appelle pas encore le « spiritisme » déferle sur l’Occident. Au début, on se contente de communiquer par raps (coups frappés contre les cloisons ou les meubles) puis, vers 1850, les tables se mettent à tourner :
« L’histoire des sœurs Fox se répandit rapidement, et de toutes parts eurent lieu des manifestations spirituelles par le biais de ce qu’on appelait alors la télégraphie spirituelle. On se lassa bientôt d’un procédé aussi incommode, et les frappeurs indiquèrent eux-mêmes un mode nouveau de communication. Il fallait simplement se réunir autour d’une table, poser dessus, les mains, et en se soulevant, la table frapperait un coup, pendant qu’on réciterait l’alphabet, sur chacune des lettres que l’esprit voudrait donner. Ce procédé, bien que très lent, produisit d’excellents résultats, et l’on eut ainsi les tables tournantes et parlantes » [2].
Dans la foulée, on invente également le procédé dit de « l’écriture automatique », et la première planche Ouija est fabriquée aux USA vers 1892. Si la mayonnaise prend si bien et si vite c’est que le contexte la favorise grandement. Le XIXe est au carrefour de deux influences majeures: l’attrait pour l’occulte et les progrès considérables de la science. Des savants renommés tels que Richet, Flammarion, et James, vont s’appliquer à tester scientifiquement les manifestations spirites. La démarche constituera les balbutiements de la parapsychologie. Aux scientifiques, tout semble désormais possible alors pourquoi pas l’exploration de l’au-delà ?
« À la fin du XIXe siècle, il existe en Europe comme aux États-Unis un immense engouement pour les phénomènes spirites. Les tables tournantes sont monnaie courante. Télépathie, médiumnité et guérison à distance ont la cote. L’occultisme fait partie intégrante de la vie sociale. C’est dans ce contexte que Röntgen découvre les rayons X qui permettent, chose incroyable, de voir l’intérieur du corps humain; que Pierre et Marie Curie percent le secret de la radioactivité et créent la stupeur en affirmant qu’un minuscule morceau de sel d’uranium produit autant d’énergie qu’une tonne de charbon. Tout semble possible. D’autres phénomènes étranges pourraient-ils être élucidés par la physique ?
La question passionne de nombreux savants qui, dès 1900, dans le cadre de l’Institut général psychologique, se livrent à de rigoureuses et complexes expériences en laboratoire pour tenter de vérifier l’authenticité de facultés paranormales comme la communication avec les esprits, le déplacement d’objets à distance, l’apparition d’ectoplasmes ou la lévitation. Les soi-disant médiums se livrent à leurs pratiques sous observation constante, leurs moindres faits et gestes étant scrutés, photographiés, enregistrés » [3].
Parmi les chercheurs intrigués par ces manifestations, se trouve un certain Hippolyte Rivail, connu sous le pseudonyme d’Allan Kardec. Ce professeur de lettres et de sciences aborde le phénomène en sceptique avant d’être convaincu par ce qu’il dit être une « observation rigoureuse et méticuleuse des phénomènes ». Il posera les bases théoriques du spiritisme qu’il définit comme suit : une science qui traite de la nature, de l’origine et de la destinée des Esprits, et de leurs rapports avec le monde corporel. (Allan Kardec, Qu’est-ce que le Spiritisme). En 1857, il rédige un ouvrage qui deviendra la Bible du spiritisme : Le livre des esprits.
« Le dogme fondamental du spiritisme établit que toute personnalité humaine est composée d’un corps, d’une âme et d’un périsprit. Le périsprit est l’enveloppe fluidique de l’âme. Moulé sur le corps, il en reproduit exactement toutes les formes; mais, au lieu d’être périssable comme lui, il participe de l’immortalité de l’âme. Étant fluidique, il est invisible, mais dans certains cas, il devient possible de le matérialiser en empruntant à des vivants les fluides nécessaires à cette métamorphose. Enfin, on entend par esprit l’âme désincarnée, enveloppée de son périsprit » [4].
Et puis la mode passe… À la fin du siècle, le spiritisme bat franchement de l’aile. Le mouvement a perdu en crédibilité et en adeptes. La plus jeune des sœurs Fox avoue avoir fraudé, les médiums sont taxés de charlatans, les croyants de naïfs. C’est alors qu’émerge une nouvelle idée : Plutôt que d’attribuer aux esprits l’origine des manifestations, certains chercheurs émettent l’hypothèse que celles-ci pourraient venir des médiums eux-mêmes. On glisse d’une explication spirite ou « surnaturaliste » à une explication « parapsychologique ». Et tandis que le spiritisme se constitue de plus en plus en « religion », ce qu’on appelle alors la « métapsychique » lorgne du côté de la science. Les deux écoles prennent des voies définitivement distinctes. The Society for Psychical research (SPR) voit le jour en 1882 à Londres. Peu de temps après, The American Society for Psychical research est fondée par William James (1885). Ces deux sociétés sont composées de savants honnêtes, mais la discipline est encore à ses tâtonnements et bien que compétents dans leurs propres disciplines, certains seront victimes de fraudes, d’autres pêcheront par manque de rigueur expérimentale. La parapsychologie a quelques barrières à sauter avant d’être reconnue. En premier lieu, il faut faire un peu de toilette à la discipline. Il est de tradition dans les sciences humaines, de réinjecter des sens nouveaux à des termes déjà existants, manie qui donne lieu à de sympathiques dialogues à la Tati : lorsque vous parlez de tel concept, vous l’entendez au sens de Truc, de Machin ou de Chose ? Mais rien de tel dans le domaine qui nous occupe. Lorsque la science a voulu s’intéresser au paranormal, le vocabulaire est tellement entaché de connotations malheureuses, d’idées de « fraudes » et de « superstition », qu’elle trouve plus propre de créer ses nouveaux mots à elle, nous madame, on ne mange pas de ce pain-là, on n’étudie pas la voyance, on étudie les PES. De même, on oublie « métapsychique » pour ressortir un terme datant de 1889 : « parapsychologie ». Maintenant qu’on a des mots tout neufs, on va pouvoir créer une discipline, mais encore faut-il savoir par quel bout attraper ça en ayant l’air sérieux. La parapsychologie va flotter encore un temps entre spiritisme et science, puis un pas décisif sera franchi en 1930 lorsqu’un dénommé Rhine se propose d’appliquer la méthode statistique aux recherches parapsychologiques.
Melmothia 2007
[1] Extrait du site du Centre Spirite Lyonnais.
[2] Ibid.
[3] Des Savants face à l’occulte, 1870-1940, B. Bensaude-Vincent et C. Blondel, Éditions La Découverte, 2002.
[4] « Le Spiritisme », par Henry Decharbogne.