Le Tarot – Présentation

Par Melmothia

Il y a quelques temps, un certain P. Jozelon pour ne pas le nommer m’a demandé de lui résumer le sens des Arcanes Majeures. Si j’ai tardé à livrer ces synthèses c’est que la démarche est problématique. Il n’y a pas d’interprétation qui ne soit une prise de position et il également est impossible d’être exhaustif en la matière. Privilégier telle ou telle approche constitue un choix arbitraire très discutable, qui se situe quelque part entre le casse-tête chinois et le lancer de dé, mais il faut bien s’y mettre, c’est-à-dire risquer de dire des bêtises en abondance, au point que cette affaire me rappelle un dessin humoristique dans lequel deux types discutent le coude sur le comptoir. Le premier vante les mérites de logiciels à reconnaissance de caractères : Vous vous rendez compte? 2 000 signes à la secondes et seulement une erreur pour 1000 signes reconnus ! L’autre : Deux conneries à la seconde et vous appelez ça le progrès ? Car s’il existe un certain nombre de consensus concernant le sens des lames, chaque élément est en réalité sujet à débat et il faut se demander si certaines constantes interprétatives ne relèvent pas davantage de la flemme des auteurs plutôt qu’à une réelle symbiose intellectuelle. C’est comme ça que la connaissance avance, à force de répéter les mêmes erreurs, on finit par les tenir pour des vérités acquises. Ça s’appelle faire autorité. Je me retrouve donc dans cette position délicate de ne pas adhérer forcément à tout ce que je vais raconter, mais sous peine de devoir rédiger un traité tout aussi subjectif que les autres et pesant ses mille pages, je me vois forcée de plier aux traditions : Le Chariot signifie « ça et ça », pourquoi ? parce que tout le monde le dit.

Genèse

On suppose que les cartes à jouer apparaissent aux alentours du XIIIe siècle en Europe puisque aucun auteur n’en fait mention avant le XIVe (le terme lui-même sera employé pour la première fois un siècle plus tard). Quant au Tarot, il est probablement né au XVème siècle en Italie, par l’ajout d’une série de trionfi (Triomphes) au jeu de cartes classique et d’une dame entre le Roi et le Cavalier [1]. On lui a attribué toutes les genèses possibles et impossibles. Mais le tournant a lieu au XVIIIe, lorsque, de simple jeu, le Tarot est élu outil initiatique par un érudit français, Court de Gébelin qui singe un traité intitulé Monde primitif où il raconte sa révélation : « Si l’on entendoit annoncer qu’il existe encore de nos jours un Ouvrage des anciens Egyptiens, un de leurs Livres échappé aux flammes qui dévorèrent leurs superbes Bibliothèques, & qui contient leur doctrine la plus pure sur des objets intéressans, chacun seroit, sans doute, empressé de connoître un Livre aussi précieux, aussi extraordinaire » [2]… Oh que si je serois empressée de le connoître ! Mais à force d’oïr moultes merveilles sur ces sacrés égyptiens qui auroient tout découvert, tout trouvé, tout pensé, me voilà tantôt devenue allergique aux pyramides. Evidemment le monsieur n’y est pour rien, c’est la mode new age qui se l’est accaparé et lorsque miraculeusement l’Egypte nous est épargnée, ce sont les Atltantes qui rappliquent. Le Tarot serait un mutus liber – un livre muet qui parle avec des images. L’idée remporte un vif succès dans les milieux occultes. Elle est reprise notamment par Eliphas Lévi. Et désormais, c’est la fête. La fin du XXème siècle est marquée par un intérêt croissant pour l’ésotérisme. Les ouvrages sur le sujet se multiplient, les Tarots aussi.

Dans les faits, le jeu le plus ancien dont on ait conservé des cartes est le tarot princier des Visconti-Sforza daté de 1420/25. Il nous en est demeuré 74 cartes sur 78, en tout 239 issues de 11 paquets différents. Ces cartes ne sont apparemment pas faites pour le jeu, étant trop grandes et trop épaisses. Elles ne sont ni numérotées, ni nommées.

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On trouve ensuite plusieurs types de Tarots présentant des variations selon leur lieu d’origine, mais c’est le Tarot sortant des ateliers de Nicolas Conver qui va s’imposer dans notre modernité comme étalon du genre : « Archétype du Tarot de Marseille, le jeu fabriqué par Nicolas Conver dans son atelier de Marseille, au milieu du XVIIIème siècle, a servi de modèle à Paul Marteau pour proposer un tarot symbolique en 1930. En s’inscrivant dans l’ésotérisme propre à son époque, Paul Marteau, qui se présente comme un simple restaurateur, fait pourtant œuvre originale. La comparaison avec le modèle de 1760 l’atteste sans équivoque. Edité en plusieurs langues, ce tarot a connu un succès mondial qu’il doit tant à l’habileté du « restaurateur », qu’au gros travail de diffusion réalisé par les éditions Grimaud. Il constitue encore de nos jours la référence en matière de Tarot de Marseille et reste le plus utilisé à des fins divinatoires » [3].

Exégèses

Ensuite vient la valse des correspondances. Chaque Arcane est censée correspondre à une lettre hébraïque, une sephira, un signe astrologique… on peut aussi essayer les parfums, les eaux de toilettes, les fruits rouges. On n’en finit plus de jouer au portrait chinois avec les lames. Pour les exégètes, Tarot fait à peu près tout sauf moudre le café. Il est alchimique, astrologique, kabbalistique, tout ce qui se finit en -ique. Chaque détail compte, le positionnement des mains, du corps, la couleur de telle partie de vêtement, tel détail dans le sol. On cherche du sens, on cherche on cherche… Voilà ce qu’on peut trouver dans les ébauches d’explications :

« La couleur bleue domine, augmentant ainsi le degré de spiritualité de l’arcane. Le bleu isole. A l’inverse du rouge et du jaune qui irradient leur énergie, le bleu contient et retient la lumière. Ainsi, l’Hermite, protégé par son manteau bleu, conserve son énergie pour éviter de la dépenser inutilement. Tout son corps est recouvert d’étoffe, masquant l’aspect physique du personnage et signifiant que l’Hermite s’adresse à l’esprit plus qu’au corps. Seule la pensée importe. D’autre part, les symboles associés de la cape (qui enveloppe complètement) et du bleu (qui protège en fermant) pourraient indiquer une totale inhibition, dans le sens d’une rupture complète avec l’environnement. L’Hermite incarnerait alors le misanthrope, celui qui fuit le monde, voire même qui n’aime pas les autres. Il s’assimilerait à l’exclusion volontaire, s’il n’y avait sa capuche rejetée sur ses épaules. En effet, la capuche rabattue sur sa tête, masquant son visage, aurait signifié une fermeture absolue. L’Hermite aurait été l’Inconnu : c’est-à-dire celui que personne ne connaît, que personne ne voit jamais » [4].

J’ai pris cette page comme exemple, mais tout y est dans le même goût. La tarologie est bavarde. C’est pour ça qu’on ne les croise guère en soirée, les gens qui s’occupent de Tarots sont des individus fort occupés. Récemment, Philippe Camoin était tout guilleret d’avoir découvert un œuf sous le bouclier de l’Empereur. Je sais pas si ça va le mener à l’illumination intérieure mais ça l’a ému, c’est sûr.

Ce qu’il faut en retenir et qui explique sans doute cette manie d’exégèse : le Tarot est censé être totalisant de l’expérience humaine, chaque lame est reliée aux autres en même temps qu’indépendante, et surchargée de sens.

Des chiffres et des lettres

Le Tarot de Marseille comporte 22 arcanes majeures et de 56 autres dites mineures. La numérotation des lames est romaine mais un peu particulière. Ainsi, le IV est noté IIII, le système n’admet pas l’écriture par soustraction. Le Fou ou Mat n’est pas numéroté. On le considère comme le 0 ou le XXII, c’est selon. L’Arcane XIII, elle, ne manque pas de chiffre, mais elle manque de nom. D’autres « irrégularités » sont notables, ainsi l’Hermite prend un « h ».

Tous ces traits seront récupérés par les commentateurs qui essaieront d’y trouver du sens. Et comme il n’existe pas de texte traditionnel décrivant l’organisation interne du Tarot, la tendance est au rapprochement avec d’autres systèmes plus hiérarchisés et documentés tels que la kabbale ou l’astrologie :

« Il est évidemment tentant de rapprocher le Tarot d’un système disponible; d’autres traditions rapprochent le Tarot d’une interprétation astrologique, elle aussi bien documentée. De manière très générale, la tendance commune de l’esprit humain est d’intégrer toute donnée dans des systèmes interprétatifs déjà disponibles » [5].

Concernant l’agencement des lames, tout a été dit et proposé. Les commentateurs ont tendance à partager les 21 cartes du Tarot en trois cycles de sept cartes, d’autres se réfèrent à la Tetraktys pythagoricienne. Expérimenter toutes les combinatoires possibles avec 22 éléments peut occuper un certain temps. Le décryptage des lames va donc se faire selon plusieurs angles :

– Le rapprochement avec des systèmes existants tel que nous venons de l’évoquer (l’astrologie, la science des chakras, les sephiroths, les mythes, etc.).

– La numérotation de la lame, le chiffre vient souvent jouer un rôle symbolique important permettant aussi bien de décrypter un sens symbolique que d’effectuer des rapprochements ou des opposition entre les cartes.

– L’examen des détails du dessin: couleurs, positionnement des personnages, etc. eux-mêmes interprétés selon des systèmes traditionnels. Concernant ce dernier point, voici quelques paramètres que les exégètes du Tarot s’appliquent à prendre en considération :

« Les lames paires sont intériorisées, réfléchies. Elles évoquent la réceptivité. Les lames impaires au contraire, sont dynamiques et extériorisées.

Un personnage debout est plus actif qu’un personnage assis. S’il monte à cheval, l’énergie est décuplée.

Un personnage qui regarde vers sa gauche est tourné vers son passé. Au contraire, s’il regarde vers sa droite, il se projette dans l’avenir.

La partie supérieure de la carte évoque la partie supérieure de l’être, c’est-à-dire l’intellect et la spiritualité. Le bas de la lame est relié au matériel, au monde concret, au corps.

Les couleurs sont riches d’enseignement. Il est utile de noter celles qui dominent dans une lame ou qui entourent un personnage. Le rouge est dynamique et pulsionnel ; le bleu est spirituel et touche à l’inconscient ; le jaune correspond à l’intelligence, la compréhension ; le blanc évoque la pureté ; le noir parle de transformation ; le vert représente la guérison et la détente ; enfin, la couleur chair ramène à la vie terrestre.

Les éléments sont importants dans le tarot. Il s’agit du Feu (activité et énergie), de la Terre (matérialité et stabilité), de l’Air (intellect et communication) et de l’Eau (affectivité et réceptivité). Très valorisés dans les lames mineures, ils occupent aussi une place de choix dans les quatre premiers arcanes majeurs auxquels ils sont directement associés » [6].

Un mot sur les mineurs

Les arcanes mineures sont au nombre de 56, répartis en quatre familles correspondant aux couleurs des cartes « classiques » : Carreau, Trèfle, Pique et Cœur. Chaque famille est composé de quatorze cartes (dix numérotées de un a dix, et quatre personnages: Valet, Reine, Roi et Cavalier).

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Le Bâton – associé à l’élément Feu. Les bâtons sont mis en relation avec les carreaux. Le bâton est symbole d’activité, d’initiative mais également : obstacles, ennuis, violence.

Le Denier – associé à l’élément Terre. Il correspond au Trèfle du jeu classique et symbolise l’aspect concret de la vie, la matière, l’argent, le corps. Il indique traditionnellement la réussite sociale et matérielle.

L’Epée – associée à l’élément Air. L’épée correspond aux Piques. Elle symbolise l’intellect, l’esprit, mais elle est aussi une arme qui peut renvoyer à l’agressivité, aux épreuves, aux maladies, souffrances, échecs.

La Coupe – associée à l’élément Eau. Elle est reliée naturellement aux Cœurs, symbolise les sentiments, les émotions, la foi et l’art en général.

Melmothia 2007.

[1] Outre le jeu « classique » de 32 ou 54 cartes, il existe deux types de jeux utilisés en voyance : les tarots et les oracles, ces derniers pouvant comporter un nombre de cartes aléatoire dépendant du bon vouloir de l’artiste qui les a conçues. Les Tarots à l’inverse se composent donc de 78 cartes dont 22 arcanes majeures. Ce sont généralement celles-là qui captent l’attention et sont censées être égyptiennes tout ça…

[2] Court de Gebelin, Monde primitif.

[3] Extrait du site Le Tarot par Jean-Claude Flornoy.

[4] Extrait du site oracles.ch.

[5] Une interprétation du système de correspondances du Tarot divinatoire, Jean-Marc Lepers, 1995.

[6] Article La tarologie en général.

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