Je vous propose de découvrir les premières minutes d’un des rares films qui cristallise la naissance du Hard Rock en pénétrant dans la chambre noire où se cache l’œil impie de Brian De Palma. Alors sortez vos pattes d’eph et empruntez au besoin une chemise à col pointu dans la garde-robe de Bernard-Henri Levy car nous allons nous replonger dans les seventies autour d’un sujet qui plaira à Cerbère, la célèbre pédale wah-wah qui fit roquer l’antre d’Hadès.
L’action de Phantom of the Paradise se déroule au début des années soixante-dix dans les coulisses d’une discothèque que l’énigmatique Swan, 1 m, 12 les bras levés, dirige d’une main d’enfer. Perché sur des talonnettes à en faire pâlir de jalousie Prince, il est également à la tête de « Death Records », un label estampillé « H5N1 » représentant un piaf moribond. Les « Fruits Juteux », le groupe phare dont Swan est le manager, a la banane mûre pour la ringardise et la gomina terne en cette période de transition entre le rock qui oscille des rotules et celui qui frétille de la queue en scandant « sex & drugs & éventuellement rock’n’roll ».
Pour redonner un second souffle à son business, il se met en quête d’un nouveau Graal sonore pour le concert d’inauguration du temple qu’il veut ériger à la gloire du rock, le « Paradise ». Alors que les auditions semblent avoir révélé autant de talents que le casting de Star Academy et que déjà les balais s’affairent sur scène, Winslow Leach, un compositeur s’empare du piano et interprète le début d’une cantate dédiée à Faust. Swan succombe immédiatement au charme des paroles qui lui rappellent cette soirée mousse dans sa baignoire où il conclut jadis un pacse avec Mephistophélès en échange d’un lifting éternel. Mais Winslow Leach avec ses culs de bouteilles et sa coupe de lévrier afghan a autant de sex appeal que l’humble scribouillard qui vous conte ce récit. Swan décide donc de se débarrasser du compositeur et de s’approprier la partition de la cantate pour adapter la musique au goût du jour et surtout la faire interpréter par un groupe plus tendance. Pour faire valoir ses droits, Leach va jusqu’à se travestir en barbie-partouze pour approcher Swan, mais à chaque tentative il se fait expulser manu militari. Entre-temps, il s’est amouraché de Phoenix, une jeune chanteuse qui, pour interpréter une partie de la cantate vendra plus tard sa voix à Swan devenu VRP pour Mephisto. Le manager sans scrupule s’arrange pour qu’on trouve de la blanche dans les poches de l’auteur devenu encombrant, ce qui vaut à Leach le privilège d’aller chanter les portes du pénitencier à Sing-Sing.
Leach, qui lors de son passage par la case prison a perdu ses dents, ses cheveux sans même toucher 10’000, parvient à s’évader et réapparaît quelque temps avant l’ouverture officielle du Paradise avec l’intention de s’adonner aux joies du sabotage. Poursuivi par les vigiles, il glisse malencontreusement et finit la tête la première dans la presse à vinyles qui referme ses mâchoires sur son visage. Outre ses rides, le voilà désormais affublé de sillons à tel point que si un acupuncteur y plaçait une aiguille, ça ferait gramophone. Winslow Leach, défiguré et blessé par balles alors qu’il s’enfuit tombe dans le fleuve pour disparaître à jamais. Du moins sous cette identité-là… Au Paradise, alors que les « Fruits Juteux » répètent le morceau emprunté à Leach et qu’ils interpréteront au gala d’ouverture, une ombre à la respiration asmatho-vadorienne se glisse dans les couloirs. De retour, Winslow Leach 2 s’empare d’une cape, d’un masque de métal représentant un oiseau et incarnera le « Phantom », une sorte de super résistant fetish qui terrorisera le Paradise.
Voilà pour la première demi-heure du film, je m’arrête là pour ne pas gâcher le suspens à ceux qui ne l’auraient pas encore vu.
Phantom of the Paradise, un opéra rock sorti dans les salles en 1974, synthétise la rencontre cinématographique entre plusieurs mythes ou récits fantastiques. Dans la trame de ce film s’entrecroisent le Faust de Goethe, canevas autour duquel De Palma brode l’intrigue, mais aussi la fibre du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux, le patchwork humain qu’est le Frankenstein créé par Mary Shelley ou encore le portrait de Dorian Gray brossé par la plume d’Oscar Wilde.
Des Travellings circulaires aux panoramiques à 180°, des mouvements fluides de la caméra aux split-screens, de la violence exacerbée au voyeurisme, autant de marques de fabrique que De Palma réutilisera tout au long de sa carrière et qui rendent son style facilement identifiable.
Avec Paul Williams qui a composé la BO dans le rôle de Swan, William Finley dans celui de Winslow Leach sans oublier la sublime Jessica Harper qui interprète Phoenix et que Dario Argento rendra immortelle dans Suspiria.
Phantom of The Paradise. Endemoniada, 2006
C’est ça donc l’histoire de la naissance du hard rock. Je pensais que ce serait plutôt axé sur une dimension plus « historique » comme les circonstances politiques, économiques et socio-culturelles qui ont fait que le hard rock soit inventé. Mais c’est très intéressant aussi.