Février 2003. Aux abords du château de Gruyères, les touristes japonais ont cédé la place aux flocons de neige qui virevoltent au gré de la bise glaciale. Comme à l’accoutumée, après une longue journée de travail, je me réfugie dans les entrailles du bar Giger. A ma gauche, H.R. disserte devant son thé sur les déboires que connait son rejeton d’Alien emmêlé dans les dreadlocks des Prédators. De l’autre côté du zinc, Jeannot, le tenancier, ne va pas tarder à évoquer l’existence d’un Dieu qui s’adresse souvent à lui dès qu’il a atteint un taux d’alcoolémie suffisant. Soudain, le téléphone céleste sonne, Jeannot a une idée.
– Dis donc le vieux (c’est le surnom affectueux donné à Giger), tu ne crois pas qu’on devrait mettre au point un cocktail dédié à ta créature ?
– Fais ce que tu veux, moi à part l’eau minérale et le thé, j’y connais pas grand chose, répond le vieux avec un accent suisse-allemand à couper à l’athamé.
– Et toi Démon (c’est moi), t’en penses quoi ?
– J’en dis que ça peut être un produit dérivé intéressant à condition qu’en terme de marketing tu lui trouves un nom porteur.
Silence. Jeannot reprend.
– D’accord… Et en français ça veux dire quoi ?
– Ça veut dire : sors les bouteilles, pose les sur le bar, on va voir ce qu’on peut faire.
Jeannot s’exécute et au terme de savants mélanges alambiqués d’absinthe, de sirop de menthe et d’un alcool typique de la région, nous tenons dans nos mains le prototype de ce que nous appellerons « le sang d’alien ».
Je regarde jeannot d’un air de dire « santé et surtout bonne chance ». Alors que le verre se rapproche dangereusement de nos gosiers, Giger intervient :
– Stop, Jeannot, pose ta clope, ton truc est sûrement inflammable, tu vas finir comme la Catillon !
… La Catillon, c’était la première fois ce jour-là que j’entendais prononcer ce sobriquet.
De son vrai nom Catherine Repond, elle fut l’une des dernières sorcières à être brûlée vive en Europe le 17 septembre 1731 à l’âge de 68 ans.
Extrait du Site de la commune de Villargiroud relatant son procès et sa fin tragique :
« Durant les premiers interrogatoires qui se déroulèrent devant la cour baillivale en juin et juillet 1731, elle fut d’abord soumise à la simple corde, c’est-à-dire « élevée comme de coutume, d’autant qu’elle a assez bon corps pour soutenir la question ». Ensuite, elle subira l’élévation au demi-quintal, puis au quintal, avouant alors s’être donnée au diable et avoir participé plusieurs fois au sabbat. Elle fut finalement incarcérée à la «Tour des sorcières » dite aussi «Mauvaise-Tour. Interrogée à 8 reprises par ces Messieurs de la Chambre criminelle et subissant encore les pires atrocités, elle fut condamnée à mort le 15 septembre 1731 et brûlée vive le même jour près des potences au Guintzet ».
Le lendemain, lorsque précédé par ma gueule de bois et mon haleine de coyote. j’ouvre la porte de mon bureau, je constate que mon apprentie est déjà arrivée.
– Qu’est-ce-qui vous arrive ? vous avez pas l’air frais, me lance Mélanie avec un regard inquisiteur.
– Oh, ce n’est rien, on encore passé la nuit à refaire le monde avec le vieux et Jeannot. La Catillon, ça vous dit quelque chose ?
– Bien sûr, tout le monde connaît son histoire ! Le mercredi, je suis des cours avec l’une de ses descendante, elle s’appelle aussi Catherine Repond d’ailleurs.
Un rendez-vous est pris au cours duquel l’héritière de la Catillon me raconte en détail ce que lui a transmis sa famille au sujet de son illustre aïeule. Au terme de son récit, je lui ai demandé si, de son côté, elle « pratiquait » également. Elle a souri et m’a répondu par énigme :
– Comme on dit, on choisit ses amis, pas sa famille. Je suis tombée dans le chaudron étant petite ».
The Ride Through the Murky Air, par John Gilbert, 1848. Endemoniada, 2006.