Par Melmothia
100 Mots Pour Comprendre la Voyance, par Bertrand Meheust,
Les empêcheurs de penser en rond, 2005
« Il est temps d’en finir avec le folklore de madame Irma, repoussoir pratique que le scientisme dogmatique cultive avec efficacité depuis des décennies. Il est temps d’en finir aussi avec le scepticisme hargneux et l’inculture satisfaite d’un Gérard Miller, avec ce discours mondain et superficiel dont la fonction objective est d’oblitérer au regard des hommes de bonne volonté une question passionnante et chargée d’enjeux. La voyance n’est pas une futilité et une distraction ; elle ne se réduit pas à un sujet pour la presse populaire, et le fait de la pratiquer, de s’y intéresser ou de l’étudier, ne constitue pas nécessairement une menace contre la démocratie ». (extrait de l’Avant-propos)
Plutôt que 100 mots pour comprendre la voyance, Bertrand Méheust (1) aurait pu intituler son livre « Les 100 maux qui l’accablent ». C’eût été certes moins vendeur, mais plus ciblé. Et « ciblé » c’est le cas de le dire, puisque le public que l’auteur vise préférentiellement et entre les deux yeux, ce sont les détracteurs de la cause métapsychique, ceux qui canardent à boulets rouges l’autre camp, transformant en arène un terrain normalement dévolu à la pensée.
On est donc loin, malgré le titre, de ces livres best of des pouvoirs psi où l’on vous sert une petite tranche de ci et un apéritif de ça. L’ouvrage sent la poudre et la boue des tranchées où scientistes contre métapsychistes se déchirent abondamment avec une préférence pour les seconds qui paient leur tribut de sang plus qu’à leur tour.
Comment ça, je donne dans l’emphase ? Mais non. Tout de suite un extrait pour vous montrer que mon enthousiasme est justifié :
« Dans Médecins et sorciers, Tobie Nathan évoque la topologie du monde invisible avec un interlocuteur imaginaire, qui expose de son côté le point de vue des psychothérapies scientifiques. La société moderne propose un univers unique et purifié ; l’être humain y est seul ; la folie est une maladie ; elle réside dans le sujet ; les esprits invoqués par les guérisseurs traditionnels ne sont que des projections symboliques des processus intra-psychiques. Au contraire, la médecine traditionnelle extériorise les esprits et disjoint le symptôme du sujet. Dans le premier travail, on travaille si l’on peut dire avec un “endosquelette” psychique ; dans le second, avec un “exosquelette”.
Il est entendu, une fois pour toutes […] que l’acte décisif et irréversible de la modernité, est le passage de l’exo à l’endo.
Contre ce consensus, Tobie Nathan affirme, sinon la réalité de l’exosquelette, du moins, l’efficacité supérieure des leviers que l’on met en place quand on pense la réalité psychique sur le modèle de l’exosquelette. Les psychothérapies traditionnelles, en dissociant le sujet de ses symptômes, en attribuant la maladie à des êtres extérieurs, en exonérant le malade du poids de la responsabilité, font jouer des ressorts psychiques plus puissants que les pratiques modernes basées sur l’intériorisation de la maladie. […]
À mon sens trois idées décisives en émergent. La première est que l’exo et l’endo ne sont que des conventions, des “systèmes de notation” de la vie psychique, et que, de ce fait, l’endo ne possède pas le privilège de représenter la science et la vérité que lui a conféré la pensée moderne. La deuxième est que ces systèmes de notation ont un effet réalisant, qu’ils captent et organisent la vie psychique. La troisième est que les systèmes de notation fondés sur l’exo, sur bien des points, organisent la vie psychique d’une façon supérieure.
[…] Les thèses de Tobie Nathan questionnent aussi par rebond les présupposés et les méthodes de la parapsychologie. […] À force d’être affirmé depuis deux siècles, le privilège de l’endo a fini par devenir pour les parapsychologues le critère de la scientificité et de la vérité. On entre dans la modernité scientifique quand on rejette l’idée qu’une source extérieure informe le voyant. […]
(Or) si l’endo n’est qu’un système de notation, s’il n’est pas le critère de la rupture épistémologique et de la vérité, mais une “convention intériorisée”, alors la vie psychique devient plus insaisissable que jamais, et les repères établis par les parapsychologues depuis un siècle sont à repenser. » (2)
Le chapitre suivant nous parle de fausse télépathie, car comme le titre l’indique, 100 mots pour comprendre la voyance adopte un parti-pris alphabétique. On transite donc de Bergson à André Breton & Victor Segalen, du concept d’espionnage psychique à celui de raison primitive. Voilà qui est un peu acrobatique pour le lecteur obligé de passer sans cesse du coq à l’âne, ou pour rester dans le domaine, du mouton à la chèvre.
Cependant, si pratiquer le gymkhana mental n’est pas donné à tout le monde, cette présentation a le mérite de la fraîcheur, et comme le dit Jean-Pierre Dautun :
« L’ensemble est très bien venu pour l’usager de métro (un texte pour trois ou quatre stations), qu’il soit simple curieux du domaine, ou déjà connaisseur averti, mais qui de toute façon cherche à penser en lisant, ou à lire pour réfléchir. » (3)
Or, ayant toujours eu le plus grand respect pour les gens qui osent penser ou inciter les autres à le faire, activité plus rarement encouragée qu’on ne pourrait l’espérer, en guise de conclusion, je salue bien bas monsieur Méheust.
Melmothia 2007.
(1) Bertrand Méheust est professeur de philosophie, docteur en Sociologie et membre associé du CNRS. En 1999, il publie sa thèse, retraçant l’histoire du somnambulisme magnétique chez Les Empêcheurs de Penser en Rond, un petit livre de 1200 pages intitulé Somnabulisme et médiumnité. Membre de l’Institut Métapsychique International, il multiplie les interventions et les articles en faveur d’une approche anthropologique du paranormal et des recherches métapsychiques.
(2) Chapître « Ethnopsy », 100 mots pour comprendre la voyance, Bertrand Meheust, Les empêcheurs de penser en rond, 2005, p.117-149
(3) « “Voyance”, comment l’entendez-vous ? », Jean-Pierre Dautun, sur le site de l’IMI.